Dans quelques semaines, le World Latte Art Championship 2019 consacrera ses nouveaux champions à Berlin. Après Adeline Kespi, arrivé 27ème en 2018, c’est David Ly qui représentera la France en Allemagne, pour l’édition 2019. J’ai eu la chance de rencontre notre champion français, barista chez Terres de Café, entre deux entrainements. L’occasion de revenir sur son parcours et ses motivations, alors que la concurrence s’annonce plus rude que jamais.
Bonjour David ! Revenons sur ton historique de barista.
Il y a quelques années de cela, je suis parti vivre en Australie pour vivre une nouvelle expérience. Je n’y connaissais rien en café, et n’en buvais même pas. Puis, par hasard, je me suis intéressé au métier de barista. Il faut dire que le pays regorge de coffee shops et que le café de spécialité y est très fortement développé. Au bout de quelques entretiens, j’ai décroché mon tout premier poste de barista, puis j’ai enchaîné plusieurs enseignes pendant près d’un an. Par la force des choses, j’ai découvert le latte art et me suis spécialisé petit à petit dans ce domaine.
De retour en France, ma décision était faite : je voulais continuer à travailler dans le café de spécialité. J’ai décroché un poste de barista formateur chez Cuiller (depuis racheté par Brûlerie Belleville), qui m’a permis de découvrir le monde du café de spécialité Parisien, bien plus petit, où on se connait presque tous. Parallèlement, j’ai continue à m’améliorer en latte art.
Suite à ma victoire au Championnat de France Latte Art, début 2019, j’ai reçu plusieurs offres, dont les Cafés Alain Ducasse, mais c’est finalement chez Terres de Café que j’ai décidé de continuer mon aventure de barista. J’aime l’attention toute particulière portée au produit; c’est ce qui a motivé ma décision.
Toi qui connais donc bien l’Australie, quelles sont les principales différences avec notre pays sur le latte art ?
On est sur deux mondes différents. En Australie, beaucoup de baristas peuvent effectuer des dessins de licornes ou de pégases. En France, ils se comptent sur les doigts de la main. Il y a là-bas beaucoup plus de baristas, et la culture du café de spécialité est plus ancienne. Forcément, la maitrise du latte art et l’intérêt pour la discipline y sont plus grands. En France, nous sommes encore à faire des tulipes, des cœurs ou des rosettas simples; c’est bien, mais on est loin du niveau de complexité qu’on peut trouver dans des pays comme l’Australie.
Qu’est-ce qui t’a poussé à participer au Championnat de France Latte Art ?
En revenant en France, et en dosant le niveau de la compétition, je me suis dit que j’avais mes chances d’accrocher le podium voire d’accéder au titre de champion. Je me suis donc dit que cela ne coutait rien de tenter ma chance et de me tester sur ce championnat.
C’est un challenge, mais c’est aussi une belle occasion de découvrir et d’échanger avec d’autres passionnés de latte art. Je me suis donc inscrit une première fois en 2018, où j’ai terminé 4ème. C’est ce qui m’a incité à m’inscrire à nouveau en 2019, où je me suis beaucoup entrainé les semaines précédant la compétition au QG de Brûlerie Belleville, et j’ai donc cette fois-ci décroché le titre !
Il y a trois rounds : les préliminaires, la demi-finale et la finale.
En France, cette année, nous n’avions pas assez de participants. Nous avons donc commencé directement par la demi-finale.
Cette faible participation peut s’expliquer par la pression qui entoure une compétition de cette envergure : on passe devant un public, il y a des caméras, du bruit,… Certains tremblent même en versant leur lait ! Et les baristas ne s’engagent généralement pas s’ils ne sont pas assez confiants dans leur technique.
Nous étions davantage en 2018, j’espère que ce sera à nouveau le cas en 2020 !
Peux-tu nous décrire ces 3 rounds ?
Il y a donc plusieurs dessins à présenter au jury, repartis sur 3 épreuves.
En préliminaire, nous devons présenter :
- un free pour (un dessin uniquement au pichet),
- un designer latte (au pichet et/ou au stylet)
- un art bar, que nous préparons en backstage pendant plusieurs minutes, sans les juges, et qui sera soumis à posteriori pour être noté
Nous serons, pour le World Latte Art Championship 2019, une quarantaine. Les 12 premiers (qui auront donc eu les 12 meilleures notes) passent en demi-finale.
En demi-finale :
- un free pour (un dessin uniquement au pichet),
- un deuxième free pour (au pichet)
- un macchiato (donc dans une plus petite tasse, également au pichet)
Les 6 premiers vont en finale.
En finale :
- un free pour (un dessin uniquement au pichet),
- un deuxième free pour (au pichet)
- un designer latte (au pichet et/ou au stylet)
Peut-on garder les mêmes dessins entre les épreuves ?
On peut garder les mêmes ou en changer, c’est au choix du barista. Généralement, on prépare 5 figures : une pour le free pour « 1 », une pour le free pour « 2 », une pour le « designer latte », une pour le macchiato et une pour le art bar.
Comment se passe l’appréciation des juges ?
Ce qui est bien en latte art, c’est que les juges ne doivent pas forcément maitriser eux-mêmes cette technique pour noter le travail des autres. Ils ont une grille très précise : contraste café/lait, texture du lait, symétrie, comparaison entre le dessin final et la photographie,… Chaque catégorie est notée de 0 à 6.
Les juges ont donc des critères très objectifs à noter, hormis une note « overall » où chacun doit donner une appréciation personnelle sur le travail présenté.
Par exemple, pour mon titre en 2019, j’ai eu pas loin de 40 points d’écart avec le deuxième participant. Avec cette notation en points, ce ne sont donc pas forcément les designs les plus compliqués qui vont gagner, mais bien ceux dont la technique est irréprochable.
Malgré ta victoire, as-tu des choses que tu aurais pu améliorer ?
Tout. Il y a tellement de points que je dois améliorer pour le Championnat du monde ! Créer une plus grande relation avec les juges (notamment ce qu’on appelle le « eye contact », c’est-à-dire toujours regarder les personnes tout au long de l’épreuve), être plus précis dans mes gestes ou dans mes dessins (mes rosettas n’étaient pas assez bonnes à mon gout), mieux faire mousser mon lait,…
Chaque petit détail compte pour la note finale !
Lorsqu’on regarde ta prestation, on note que tu ne parles pas beaucoup, est-ce également quelque chose que tu vas travailler ?
Clairement, il faut que je parle plus. Ce qui fait la différence, même si ce n’est pas une des catégories de notation, est que l’ensemble de la prestation soit bâtie autour d’une histoire. Il faut arriver avec un thème, le présenter, bien expliquer ses dessins,… Dessiner en ne disait presque rien, ou raconter une histoire, ça ne donnera pas la même note finale.
Comment se passe ton entrainement ?
C’est continuel. En tant que barista en coffee shop, je m’entraine dès que j’ai le temps, derrière le bar. Mais pour la compétition, il faut également pouvoir s’entrainer dans un cadre spécifique, avec un café ou une température de lait différents de ce qu’on donne habituellement aux clients. Donc quand je suis en service, je m’entraine pour ne pas perdre ma technique, mais pour travailler mes dessins, je le fais en cadre privé, notamment une fois la boutique fermée, où je reste plusieurs heures à répéter.
Sais-tu déjà ce que tu vas dessiner au World Latte Art Championship ?
Non, je ne sais pas encore mais j’y pense chaque jour. J’essaie de trouver l’inspiration, je teste des choses,… J’ai déjà quelques idées.
En attendant, je m’entraine sur des dessins complexes qui ont gagné par le passé, comme le caniche de Irvine Quek Siew Lhek (tenant du titre mondial 2018) qui est très complexe avec un grand nombre de rosettas. Si j’arrive à le reproduire, je peux sortir n’importe quel dessin plus simple.
N’y-a-t-il pas des risques de doublons entre les différents dessins des participants ?
Il y a un grand respect entre les compétiteurs et on ne proposera pas des dessins déjà faits auparavant. Si tel est le cas, on y apportera des modifications de design ou de technique. De plus, les juges le savent et je pense que ça se ressentirait dans la note.
Connais-tu tes prochains concurrents ?
Oui, et j’ai déjà mon palmarès en tête. Ils sont là depuis longtemps, certains sont de véritables stars du latte art, très suivies sur les réseaux sociaux (comme Instagram). Ce sont souvent des participants asiatiques, comme la Thaïlande, la Chine ou la Corée du Sud. Jibbi Little, la championne australienne 2019 est également très forte, je la vois en finale.
Tu disais que le café et le lait sont différents de ceux utilisés en coffee shop ?
Oui car on a besoin d’une torréfaction plus poussée (pour la couleur), d’un café qui a bien dégazé pour ne pas faire de bulles. On ne monte également pas le lait de la même manière. Tout cela importe très peu niveau goût, car les juges ne boivent pas notre café, seul le visuel compte.
Comment prépare-t-on son matériel et ses ingrédients avant de passer devant les juges ?
On a la chance, en latte art, de n’avoir que très peu de matériel à apporter. A vrai dire, tout peut tenir dans un sac à dos : les pichets, quelques tasses pour s’entrainer, deux trois accessoires pour rendre la prestation plus commode, et c’est tout.
Le reste nous est fourni et imposé par l’organisation. Par exemple, le café et le lait sont fournis par les sponsors. Les réglages, comme la température d’extraction, sont également les mêmes pour tous. Avant l’épreuve, on a par contre quelques minutes pour préparer le moulin comme on le souhaite.
La base est donc la même pour tout le monde, ce qui ne laisse pas de place au hasard : c’est la technique qui compte.
As-tu été tenté de faire par d’autres compétitions ?
J’aimerais bien faire d’autres épreuves. J’ai notamment pensé à m’inscrire au cupping cette année. Mais je préfère axer tout mon entrainement sur le latte art, j’y vais pour gagner ! Qui dit plusieurs épreuves dit moins de temps pour s’entrainer, parfaire ses techniques, réfléchir à ce qu’on va dire,… Mieux vaut se focaliser sur une discipline à la fois.
Pour finir cette interview, on tente un pronostic ?
Objectivement, c’est difficile. Certains s’entraînent beaucoup, 6 ou 7 heures par jour, parfois avec le café et le lait qui seront utilisés pendant la compétition.
Je vise déjà le top 12, même si j’aimerais accrocher le top 6 (la finale). Cela donnerait une vraie visibilité au latte art français. Mais j’ai une énorme pression, car le latte art, avec le World Barista, est une épreuve reine. Je dois donc encore bien m’entrainer ces prochaines semaines !
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