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L’agroforesterie caféière en Ethiopie

Avec l’évolution de la chaîne de production du café de spécialité vient une série de défis pour ses nombreux acteurs : cueilleurs, fermiers, producteurs, exportateurs/importateurs, torréfacteurs,… Mais c’est bel et bien à la source, parmi les caféiers, que la qualité des grains que nous retrouverons dans notre tasse se joue. Terres de Café, torréfacteur dont nous parlons régulièrement dans nos pages et sur nos réseaux sociaux, est au cœur de ces préoccupations, et maintient une relation privilégiée avec « ses » producteurs. Deux maîtres-mots : qualité et durabilité. À ce titre, au fil des ans, la marque française s’implique de plus en plus dans la production, jusqu’à lancer, dernièrement, une série de projets pour une filière durable via l’agroforesterie caféière.

Pour le premier épisode de cette série de projets (qui feront l’objet d’articles en continu sur Café Mag) nous vous invitons pour une plongée dans l’agroforesterie en Ethiopie, où Terres de Café et l’importateur Belco ont récemment commencé à bâtir, main dans la main avec certains producteurs locaux, une initiative autour du maintien de l’agroforesterie caféière à Jimma, au Kaffa et au Wallaga.

Coopérative Dorban - Wallaga - Photo : Fabrice Leseigneur

Coopérative Dorban – Wallaga – Agroforesterie caféière Photo : Fabrice Leseigneur

Agroforesterie caféière en Ethiopie : un modèle original

Le modèle de culture du café sous forêt en Ethiopie repose sur des savoir-faire anciens. Le café est ici sur sa terre d’origine et croît en forêt, au contact d’autres espèces boisées, dans son milieu naturel. La marchandisation de la production au cours des siècles derniers n’a pas enrayé ce mode de mise en valeur des terres caféières. Les fermiers, conscients des apports de cette richesse arboricole pour leurs caféiers, ont fait perdurer les techniques héritées de leurs aïeux. On trouve ainsi, dans de nombreuses zones du pays, des forêts denses, constituées d’espèces endémiques parfois centenaires. Atteignant pour certains plusieurs dizaines de mètres de haut, ces arbres protègent les caféiers plantés en sous-bois par les paysans.

Ce modèle, basé sur la spécificité des pratiques locales et l’histoire particulière de la production caféière en Ethiopie, nourrit les attentes globales de préservation de l’environnement et des forêts. En effet la pratique de l’agroforesterie est de plus en plus encouragée dans d’autres pays producteurs, pour des raisons que l’on observe justement dans les forêts caféières éthiopiennes. Le couvert arboré assure un maintien de l’humidité des sols et permet leur enrichissement par la décomposition des feuilles. Cet écosystème riche fournit de très belles cerises sans aucune utilisation de pesticide et constitue l’habitat d’une faune variée, notamment pour les abeilles dont les producteurs peuvent aussi commercialiser le miel. La culture du café a permis le maintien de ces forêts anciennes en leur conférant une valeur économique. Malheureusement, dans des zones similaires où les forêts n’ont pas été utilisées comme réceptacles des caféiers, de grandes quantités d’arbres ont été coupés pour laisser place à des monocultures commerciales.

Le maintien de ces agroforesteries caféières est donc un enjeu actuel dans ce pays où la croissance démographique amplifie la pression foncière et où la course au rendement, bien compréhensible, est encouragée par les autorités pour nourrir une population largement rurale.

Forêt caféière - Dulli Mountain - Wallaga - Photo : Fabrice Leseigneur

Forêt caféière – Dulli Mountain – Wallaga – Agroforesterie caféière –  Photo : Fabrice Leseigneur

Quel est l’enjeu principal du maintien de ce modèle ethiopien ?

En ces temps de tension pour les modèles agricoles, l’attachement des caféiculteurs à leur mode de gestion traditionnel est profond. Cet attachement est aussi lié à l’héritage qu’ils sont conscients de faire perdurer, étant très largement eux-mêmes enfants de producteurs de café. Pourtant, les nombreux échanges entre Terres de Café, Belco et les producteurs ont permis de saisir les interrogations quant aux évolutions à apporter à leurs pratiques. Citons notamment la question de l’usage des pesticides, qui était totalement annexe il y a encore quelques années, mais se pose désormais pour certains producteurs. Si la commercialisation des pesticides a très longtemps été contrôlée en Ethiopie, les autorités ont nettement assoupli leur approche ; ce qui conduit de plus en plus de paysans à y avoir recours.

Ces questionnements sont plus que compréhensibles, et sur ce sujet, Terres de Café et Belco ne comptent pas dicter une marche à suivre aux producteurs avec lesquels ils travaillent, mais jouer un rôle d’intermédiaire et de passerelle, pour aussi leur exposer les tendances d’un marché qui évolue en Europe, où la certification agriculture biologique devient notamment un argument de vente. Ceux qui choisissent de s’impliquer dans ce projet ont conscience d’être à un moment charnière et de devoir miser sur la qualité de leur production bien plus que sur la quantité, tout en mettant la préservation de leur zones de culture au centre de leurs préoccupations.

Pour produire ce café de qualité, si spécifique aux forêts éthiopiennes, il convient pour ces producteurs de soigner leur environnement de travail et donc notamment de maintenir cette canopée sur le long terme.

Le projet de Terres de Café

Le constat du caractère unique des forêts caféières éthiopiennes posé il y a quelques années par Jacques Chambrillon (responsable de l’agence éthiopienne de Belco) a mené à la création de la marque « Café de forêt ». Cette reconnaissance se base sur la diversité arboricole de ces espaces : au moins 10 espèces différentes, dont la couverture généreuse assure un minimum de 40% d’ombre aux caféiers. Ce qui en fait des foyers de cafés de qualité. L’enjeu du maintien de cet environnement naturel riche est au cœur des préoccupations des producteurs, souci partagé par les équipes de Terres de café.
C’est le déclencheur du projet : accompagner la préservation de ces forêts au travers de l’agroforesterie.

Yeti - Wallace - Jacques Chambrillon et Shambe Kana de Belco Ethiopie (au premier plan) - Photo : Fabrice Leseigneur

Yeti – Wallaga – Jacques Chambrillon et Shambe Kana de Belco Ethiopie (au premier plan) – Agroforesterie caféière – Photo : Fabrice Leseigneur

L’idée pour Terres de Café et Belco est de travailler au départ à petite échelle, au plus près des réalités locales, avec un souci d’efficacité dans la durée. En effet, de nombreuses expériences de terrain et d’études de projets de reboisement menés à très grande échelle ont trop souvent montré leurs limites sur le long terme. Il s’agit donc de travailler avec certains producteurs demandeurs sur des fermes spécifiques et bien identifiées, et de commencer avec un nombre restreint d’intervenants tout en assurant un suivi rigoureux.
Le projet ethiopien se résume aisément : maintenir ce couvert arboré si spécifique aux zones caféières en mettant en place dès à présent des pépinières constituées d’espèces (nous en parlons au bas de cet article) qui pourront être replantées plus tard dans ces forêts en remplacement d’arbres malades ou vieillissants. L’enjeu est donc le maintien de cette canopée, voire sa densification. Notons qu’en contre-partie de l’implication des producteurs dans ce projet, Terres de Café s’engage à acheter chaque année en grand volume ces cafés de forêt près du double du prix du marché, avec une progression de 30% par an.

La phase d’initiation du projet s’est axée sur trois étapes :

  1. Les équipes de Belco (pour lesquelles Delphine Ayerbe assure le pilotage du projet) se sont en premier lieu rendues auprès du département du Thé et du Café du Ministère de l’Agriculture éthiopien pour présenter le projet. L’aval de l’institution eéhiopienne est un prérequis logique à tout mouvement de semences (achat et distribution) et par extension, au projet tout entier. En mai 2019, le Ministère a donné son feu vert pour le début du projet.
  2. Trente producteurs éthiopiens ont été réunis dans les bureaux de Belco (à Addis-Abeba) pour une présentation du projet et un appel à la participation. Six producteurs ont ensuite été sélectionnés, sur trois régions : Jimma (dont Khalid, déjà producteur de café pour Terres de Café, notamment le KSF), Bonga et Wallagga.
  3. En septembre 2019, soit 4 mois après le lancement du projet. Les semences ont été achetées puis distribuées aux producteurs. Le choix des espèces d’arbres  voués à assurer une canopée dense à l’âge adulte s’est fait en concertation avec les producteurs, connaissant parfaitement leurs terrains et donc les arbres les plus adaptés.

Quels arbres pour quels besoins ?

  • Lafto : cet arbre est un acacia, très adapté aux régions du Sud et de l’Ouest éthiopien. Il peut atteindre plus de 10m de haut et a la particularité de déployer sa couronne comme un parasol, donnant ainsi un ombrage large. Il existe deux types différents de Lafto, qui se distinguent par la couleur de leur tronc : le Tikur Girar a un tronc foncé (tikur signifiant « noir, foncé » en amharique) alors que le Bicha Girar est plus clair et lumineux. Les feuillages de ces acacias sont utilisés comme fourrage, donc utiles pour les fermiers.
  • Anbabessa : un arbre avec une une couronne haute, large qui est très adaptée aux caféiers pour l’ombrage qu’elle procure. Cet arbre pousse entre 1400 et 2200m d’altitude et peut atteindre au maximum 25m de haut à l’âge adulte. Sa régénération naturelle assez aisée en fait un arbre recherché pour une bonne conservation des sols.
  • Wadessa : un arbre qui peut atteindre 25m de haut. En Ethiopie, il est présent entre 1600 et 2200m d’altitude, et s’utilise souvent dans les plantations de café, s’associant très bien aux caféiers et leurs offrant un bel ombrage, très en hauteur. Avant d’être planté définitivement, il devra passer entre 5 et 7 mois en pépinière.
  • Kundo Barbare (schinus molle) : aussi appellé « faux-poivrier », c’est un arbre de quelques mètres de haut qui donne des fruits (cerises rouges) séchés et moulus, utilisés comme épice dans la cuisine éthiopienne. Il se dit que sa présence au milieu des caféiers diffuse son odeur aux cerises. ➢ Dans quelques mois – en moyenne 7 mois- et en fonction des pluies, ces jeunes plants seront mis en terre. Il conviendrait que cela se fasse autour du mois de mai maximum, les fortes pluies annuelles arrivant ensuite.
Lits africains de séchage - Photo : Fabrice Leseigneur

Lits africains de séchage – Photo : Fabrice Leseigneur

Et maintenant ?

Fufa, qui supervise les actions dans les plantations, assure son suivi en appelant chaque semaine les producteurs. Ces derniers ont d’ores et déjà choisi l’emplacement pour les pépinières, suivant certains critères comme l’humidité, l’ombre ou les éventuels ruissellements, et en les protégeant des nuisibles. Si ce projet en est à ses prémices, certains producteurs sont plus avancés, comme Khalid (producteur de Jimma) dont la pépinière est déjà montée par son frère Ahmed (certains producteurs travaillant en famille, une autre particularité du café ethiopien). Si Terres de Café et Belco sont à la source et à la manoeuvre de ce projet, c’est à chacue producteur d’assurer une gestion attentive qui permette à ces graines de germer. Ces premières étapes sont toujours délicates, tout comme celles qui viendront plus tard, lors de la mise en terre.

La suite du projet est intimement liée au succès du « pilote » éthiopien. Si ce dernier est une réussite, d’autres producteurs pourront être associés, en leur apportant également un soutien matériel mais en ne s’impliquant nullement dans la gestion in situ du projet (il est de leur ressort que cela fonctionne dans le temps).
Une troisième étape se concentrera sur l’essai de replanter d’autres espèces adaptées aux caféiers, suivant les conclusions tirées de ces premiers essais de reboisement.

Pour continuer votre lecture :
Interview vidéo de Delphine Ayerbe sur l’agroforesterie caféière éthiopienne
Le site de Belco
Le site de Terres de Café

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