C’est indéniablement un des points forts du café de spécialité : éveiller les sens, déterrer des sensations cachées depuis longtemps et surtout, pouvoir transmettre des émotions à celles et ceux qui posent leurs lèvres sur une tasse. C’est dans cette optique que les meilleurs baristas font, depuis quelques années, bien plus que de servir un café. Ils en content l’histoire, en vantent les qualités aromatiques et gustatives, aident le client à en percevoir les moindres détails,… En somme, en extraient la substantifique moelle.
Qui de mieux pour en parler, dans la nouvelle scène parisienne du café de spécialité, que Joachim Morceau ? Cet ancien pilier de Terres de café, que Café Mag avait déjà interviewé en début 2019, a ouvert il y a quelques mois son coffee shop, sobrement intitulé Substance Café, tout juste récompensé par un Sprudgie Award.
Je n’essaierai pas de tourner autour du pot sous couvert d’être journalistiquement objectif : c’est une adresse à visiter.
L’idée de Substance Café est venue à Joachim au milieu des années 2010, au sortir d’un restaurant coréen. L’endroit n’est pas très grand, un bar en U accueille 11 places en fond de salle, et la question de savoir pourquoi les propriétaires ne remplissent pas l’espace vide avec d’autres tables s’efface lorsque le couple s’assoit devant le chef, qui s’agite, travaille, bouge dans tous les sens. Aucune autre place dans le restaurant n’aurait permis cette incroyable proximité avec le maitre de maison. Joachim se promet de reproduire cette mise en place invitant au partage, lorsqu’il ouvrira sa propre adresse dédiée au café.
Cinq ans après, le coffee shop a ouvert ses portes dans le triangle d’or du café de spécialité parisien (Rue Dussoubs, 2ème arrondissement) et le bar en U du restaurant coréen est bien là. Du bois massif, une bonne dizaine de places, et une station de travail ouverte à 180°. Au milieu du mur, écrite au marqueur rouge vif, la carte du jour affiche fièrement ses références : The Underdog Project, April Coffee Roaster,… Aucun risque. Seulement la quintessence de l’or noir.
Une fois en place, on peut scruter le barista, analyser ses gestes, le regarder monter son lait, préparer sa v60. Mais ce n’est pas tout : Joachim passe un temps précieux avec chaque client et n’hésite pas à répondre en profondeur à n’importe quelle interrogation sur l’origine, le process, l’extraction ou la palette aromatique du café servi.
« Choisir quel café je vais servir est sans doute la partie la plus difficile. J’ai commencé en choisissant des torréfacteurs amis ou que je connaissais bien en dehors de la France. Le plus difficile c’est d’avoir du grain en totale adéquation avec mon style d’extraction et ma vision du café. Je cherche de la torréfaction très light, mais assez développée pour ne pas avoir que du végétal » m’explique Joachim. « Je recherche la transparence avec le terroir, un grain le moins marqué par nos styles; juste le terroir qui s’exprime. Et des cafés très dingues et très beaux. »
C’est assurément ce qui marque les esprits lorsqu’on assoit chez Substance : le parti pris, la recherche de l’excellence et l’honnêteté du barista qui fait un bien fou. Non pas que le café de spécialité soit mainstream, alors qu’il ne représente même pas 3% de la consommation française, mais Joachim n’hésite pas à écarter des cafés réputés s’ils ne le font pas vibrer, à refaire 3 fois un espresso alors que 9 clients sur 10 auraient accepté sans broncher le délice velouté tout droit sorti de la Slayer rouge vif qui trône au milieu du bar. Et puis, pas de café à emporter, on a plutôt le droit aux belles créations en céramique de Loveramics x Dale Harris. Pas de sucre, non plus (doit-on le préciser ?). Ni même de cheesecakes ou de cookies. Bref, du café, rien que du café.
« C’est le terroir qui me guide. Je recherche à magnifier mon café, pas à coller aux goûts des gens. Mon premier client c’est la nature. Quand un café est respecté je peux alors le proposer à mes clients, et des cafés aussi dingues ça se déguste. Il faut prendre le temps ; 5 ou 10 min dans la journée pour soi ça fait du bien. Et pas de sucre, car si les acteurs du café ont fait leur travail, le café sera naturellement sucré. »
Ce parti pris se retrouve bien sûr dans le choix de l’extraction. De ses années à Terres de café, Joachim a gardé l’habitude d’extraire ses espressos avec des grains torréfiés en méthode douce, ce qui demande un travail particulier. « La Slayer, le hérisson et l’EK43 m’aident beaucoup. Cela donne un café avec une palette aromatique proche du filtre, mais ultra puissant ; la difficulté est donc de l’équilibrer.« .
Si je parle d’expérience plus haut dans cet article, c’est probablement l’élément le plus marquant chez Substance Café. On ne vient pas boire un café, on vient déguster un café. Le parallèle est vite fait avec les juges d’un championnat du café, ou le barista accorde un moment de partage, et parfois d’enseignement, avec ses « clients » d’un jour. Ce service personnalisé est difficilement trouvable ailleurs, tant beaucoup de coffee shops (et c’est tant mieux pour eux) ont un flux de clientèle continu. Le but ultime ? L’émotion.
Joachim de préciser « Ce qui me tenait à cœur, c’était de faire un maximum de choses devant chaque client et de fusionner mon plan de travail et leur table. C’est une façon de nous rassembler autour du café (littéralement) et de partager un moment ensemble. Cela ressemble effectivement à une disposition de championnat Brewer’s Cup mais l’exercice est très différent. En championnat tu amènes un café, un moment, une vision, mais en vrai tu ne connais pas tes clients (juges), c’est moins intime. Tu dois plaire et te démarquer tout en cochant des cases pour gagner des points. Mon but à Substance Café est de procurer du plaisir voire de l‘émotion à mes clients, mais le plus important est de ne pas trahir le café et son terroir. Mais au-delà de ce credo, seul le plaisir et le partage comptent. Je ne modifierai pas intrinsèquement mon café pour un client, mais je ferai tout pour trouver ce qui lui plaira. »
Alors la question vient rapidement : carte haut de gamme (n’espérez pas payer votre espresso 2 euros), process d’extraction qui sortent des sentiers battus,… N’y a-t-il pas un risque de se limiter à un public de coffee geeks, qui est une niche ? Heureusement, Joachim en est conscient et le revendique même. Substance a été créé pour rester sur une petite échelle, très humaine et proche. Ce n’est pas un public de coffee geeks qui est visé, mais plutôt un public de curieux et de passionnés. Ses années de barista chez Terres de café lui ont donné à la facilité de s’adapter à la clientèle pour faire aimer le produit.
2020 sera la continuité de la première année de Substance, avec l’arrivée du premier maillon de la chaîne : la torréfaction maison sur Loring S7. Joachim, lui, me promet qu’il ne cessera de se renouveler, de progresser pour continuer sans cesse de surprendre ses clients. J’aimerais le croire, mais en fait, on a presque envie que Substance Café reste une adresse bien cachée. Un peu comme un petit restaurant de quartier que l’on serait jaloux de partager. On a peine à penser que ces 10, 15, 30 minutes à discuter avec le barista ne nous seront pas exclusives. Allez, je ne serai pas radin ; c’est tout le mal que je te souhaite, Joachim.
Sur quel matériel ?
« Pour la machine à espresso, une Slayer V3, l’ancien modèle, car meilleur et avec une pré-infusion incroyable de 20 secondes qui me permet d’avoir un café plus sucré et corpulent. Deux moulins Mahlkönig EK43 avec des meules SSP coréennes : une High Uniformity pour l’espresso qui apporte un côté sucré et clean à mes espressos, et une Low Uniformity pour les filtres, pour gagner en complexité tout en restant clean aussi. Le hérisson qui est un irrigateur pour préparer l’espresso à l’extraction. Enfin, une eau osmosée Brita qui est aussi un gros plus dans mon installation. »
Le petit (dernier) plus ?
« Le macchiato cryoconcentré. Tu congèles (surgeler c’est encore mieux) ton lait puis le passes au frigo. Le lait va commencer à décongeler tout doucement, mais l’eau va prendre plus de temps à atteindre sa température de fusion (passer de l’état solide à l’état liquide). Il suffit ensuite de récolter le lait ultra-concentré avant que l’eau ne décongèle aussi et de jeter le bloc de glace d’eau restant. C’est super crémeux, puissant et texturé… un vrai dessert ! »