Le café de spécialité est une tendance émergente dans le monde du café hexagonal, comme en témoigne le nombre croissant de coffee shops et torréfacteurs qui ouvrent dans chaque ville majeure et aux quatre coins de France. Croissant certes, mais le marché du café de spécialité est encore au stade du marché de niche et compte pour seulement 2% du marché total du café.
Mais au juste, quand nous parlons de café de spécialité, de quoi s’agit-il vraiment ?
Pour mieux comprendre son concept, l’on se doit de revenir à la genèse de ce mouvement.
Au commencement, une femme de conviction
Nous sommes dans les années 1970 aux Etats-Unis. A cette époque, le marché du café est monopolistique, il est dominé par les torréfacteurs industriels parmi lesquels les 4 plus gros représentaient 70% du marché mondial. Au vu des quantités, l’achat de café en container était la norme. C’est alors qu’Erna Knutsen intervient dans l’histoire. Erna était secrétaire de Bert Fulmer, associé de la société B.C Ireland qui importait des cafés et épices dans la région de San Francisco quand elle gouta pour la première fois à un Mandheling Sumatra. Elle tomba instantanément amoureuse de ce café qui a agi comme un élément déclencheur pour la suite de sa vie. Elle s’intéresse alors aux petits torréfacteurs américains (souvent laissés de côté par les gros importateurs) et aux cafés cultivés dans des microclimats, ce qui lui permit notamment de vendre notamment un container de 250 sacs de 60kg en 1 mois, un véritable exploit alors.
Cet évènement amorça son discours à Montreuil en 1978 lors d’une conférence internationale sur le café, durant laquelle elle exposa sa vision et utilisa pour la première fois le terme de « café de spécialité ». Elle y posa les jalons, à savoir un café devant être respecté sur toute la chaine (producteur, importateur, torréfacteur, barista,…) et provenant d’un terroir particulier lui conférant ses arômes uniques. Elle monta ensuite sa société Knutsen Coffees Ltd et une de ses particularités fut qu’elle était la première à aller directement dans les fermes de café, à la source, ce qui lui semblait essentiel avant toute importation de café vert. Quelques années plus tard, elle donne une image publique de ce concept en créant la SCAA (Speciality Coffee Association of America) faisant ainsi entrer le café dans une nouvelle ère.
La situation actuelle de la Speciality Coffee Association
L’association ainsi créée par Erna a permis l’émergence et la structuration d’une filière nouvelle dans le but de redonner au café ses lettres de noblesse. D’abord segmentée entre les américains (SCAA) et les européens (SCAE), elle a été unifiée depuis peu sous une même bannière. Aujourd’hui, la Speciality Coffee Association (que nous appellerons SCA pour la suite de l’article) est la porte-parole du café de spécialité dans le monde et a pour mission de rassembler toute la chaîne de valeur afin d’œuvrer à « rehausser les standards et améliorer la qualité du café dans le monde ». La SCA est présente partout dans le monde avec pas moins de 245 campus : des organisations délivrant des formations certifiées dans des centres conformes aux standards de l’association. Outre les campus, on retrouve 35 chapters (entités) dans le monde qui sont autorisés à organiser des championnats nationaux et envoyer des représentants aux championnats du monde, la France en étant un des intégrants, via la SCA France.
Sa présence mondiale a permis de diffuser les bonnes pratiques autour de la production et la consommation du café. Toutefois, les contours de la stricte définition restent encore à être consolidés et tout le challenge reste à l’adapter au monde actuel en constante évolution. Aujourd’hui, chaque acteur a plus ou moins sa définition, suivant toutefois les mêmes grandes lignes assez vagues établies sur le site de la SCA, mettant plutôt l’accent sur le dévouement des acteurs en faveur de la qualité. Tout récemment, c’est Alexandre Bellanger qui évoquait cette difficulté dans un podcast de 30min sur Gourmet Cup, se disant en réflexion sur celle-ci.
Nous vous proposons ici de faire un tour d’horizon des diverses définitions étant chacune possible sans être exclusive l’une de l’autre.
La définition sensorielle
Il est communément admis que les cafés notés à plus de 80/100 selon le protocole de la SCA, sont considérés comme spécialité. Cette note ne vient pas par hasard, elle doit être établie par des Q grader sur 10 critères notés de 0 à 10, selon un protocole de dégustation normé. Sont notamment notés les flaveurs, l’acidité, le corps, l’équilibre, le manque de défauts,… Bien que les notes puissent légèrement varier d’une personne à une autre, les Q graders apportent une évaluation standardisée afin de parler le même langage que l’on se trouve au Burundi ou en Colombie.
La définition technique du café vert
La SCA a mis en place une grille d’analyse afin d’évaluer les cafés de spécialité avant torréfaction. Pour qu’un café de spécialité soit considéré comme tel, il ne faut aucun défaut de catégorie 1 et pas plus de 5 pleins défauts de catégorie 2 pour un échantillon de 350 g. Les défauts sont toutes les malformations du grain vert qui détériorent la qualité de la tasse finale. La catégorie 1 correspond aux défauts majeurs et ceux de la catégorie 2 sont mineurs. Pour plus de détail sur chacun d’entre eux, nous vous invitons à relire notre article sur le sujet.
La définition par opposition
Les cafés de spécialité s’opposent en plusieurs points aux cafés de commodité, ceux qu’on appelle aussi mainstream. Un bon test qui fonctionne à chaque fois pour faire la différence consiste à les opposer en se posant les 4 questions suivantes :
- Y a-t-il des indications sur son origine ? Les bons cafés indiqueront la région voire même le nom de la ferme ainsi que le process utilisé (lavé, nature,…). Les cafés mainstream, indiqueront tout au plus « pur arabica » qui est un non-sens car il n’est en rien une garantie de qualité.
- Y a-t-il une date de torréfaction ? Les artisans préfèrent la fraîcheur et l’indiquent généralement sur leur paquet. Les cafés mainstream, ne l’indiquent jamais.
- Y a-t-il une description des arômes ? On ne parle pas ici des adjectifs tels que « intense » suivi d’un chiffre mais plutôt des arômes spécifiques de noisette, myrtille, pomme,… caractéristiques des cafés fins. Les cafés mainstream ne l’indiquent jamais de cette façon.
- Quel est le niveau de torréfaction ? Les artisans respectent le grain. Si le café est huileux et très noir, cela présage un goût de brulé et d’amertume propres au cafés mainstream.
La définition conceptuelle de Ric Rhinehart
A la tête de la SCA pendant 10 ans, Ric Rhinehart proposait déjà une redéfinition des contours en 2009. Son article proposait d’aborder le sujet en 3 concepts, à savoir :
- Le potentiel : l’idée étant que l’on peut planter les meilleures graines mais si les prérequis agricoles ne sont pas respectés (comme l’altitude), le café ne révèlera rien de son potentiel. Une importance doit être ainsi attachée au microclimat, à la qualité du sol et à l’entretien des caféiers.
- La préservation : si les conditions de culture sont respectées, les cerises de café qui en découleront devront être cueillies mures et à la main afin d’en préserver toute leur richesse. A la suite de la récolte, les étapes de transformation sont tout aussi primordiales (séchage, stockage,…) dans le but de préserver sa qualité intrinsèque.
- La révélation : arrivés chez le torréfacteur, tout l’art consiste à révéler les qualités inhérentes de chaque grain. Le barista joue également son rôle en bout de chaîne et il peut continuer à bonifier le grain ou passer complètement à côté de sa cible. Ce concept nous indique les dernières étapes primordiales du café de spécialité sans lesquelles il ne serait pas possible de faire ressortir le meilleur du grain tout en respectant le travail effectué dans les étapes en amont.
La SCA reflète l’évolution du secteur du café de spécialité et ce qui est intéressant de relever ici c’est que ce même Ric Rhinhart republiait son article en 2017 en y rajoutant deux points clés montrant encore une fois la complexité et la constante évolution de la définition. Il ajouta à celle-ci l’interdépendance de chaque acteur de la chaîne, par exemple le barista est responsable de la révélation mais aussi de la préservation. Aussi, il apporta la notion de durabilité selon laquelle un café de spécialité ne peut pas l’être si c’est au détriment de la dignité des travailleurs ou de la destruction des écosystèmes naturels.
Pour finir…
Quoi qu’il en soit, les différences de définition ne doivent pas occulter la vision commune de chaque acteur investi dans ce mouvement, celui de respecter le grain sur toute sa chaine de valeur. Que ce soit les producteurs, les importateurs, les torréfacteurs ou les baristas, chacun veut vous faire vivre une expérience unique reflétant un savoir-faire et une passion qu’ils ont à cœur de partager. Par l’attention apportée à chaque étape, les consommateurs peuvent être certains de boire un café plus durable que la majorité des autres sur le marché. Boire du café de spécialité c’est aussi bénéficier de conseils et un accompagnement sur l’équipement et faire partie d’une communauté engagée. Une définition que chacun pourra s’approprier…
Sources :
- https://sprudge.com/remembering-erna-knutsen-coffees-feminist-pioneer-135417.html
- https://medium.com/@kuroiwahouse/demystifying-coffee-grading-19a3ddc50173
- https://scaa.org/?page=RicArtp1
- https://sca.coffee/about
- https://www.scaa.org/PDF/resources/grading-green-coffee.pdf
- https://scanews.coffee/2017/03/17/what-is-specialty-coffee/
- https://www.javapresse.com/blogs/buying-coffee/what-makes-specialty-coffee-specia
- lhttps://ovenheaven.fr/blog/2020/04/05/les-defauts-du-cafe-vert/
- https://scae.com/campuses