Aujourd’hui, nous sommes heureux d’interroger Klaus Thomsen de Coffee Collective. Ces noms vous paraissent familiers ? C’est sûrement parce que le premier est champion du monde barista 2006 et que le deuxième est l’une des torréfactions les plus engagées au monde en termes de café durable. Rien de mieux que d’aborder les 4 piliers du développement durable dans le secteur du café de spécialité avec Coffee Collective. Nous couvrirons notamment les aspects humains, sociaux, économiques et environnementaux à travers leur exemple concret. Entrons dans le vif du sujet !
Note : pour les anglophones, l’interview originale en anglais est téléchargeable ici
Coffee Collective en tant qu’entreprise sociale
Vous avez récemment obtenu le certificat « B Corp », félicitations ! Etant donné qu’il ne s’agit pas d’une tâche facile, pouvez-vous nous partager les défis que vous avez dû surmonter ? Combien de temps cela a duré pour l’obtenir ?
Devenir une entreprise « B Corp » a été une grande réussite pour nous et nous en sommes très fiers. Cela correspond parfaitement à nos principales raisons de créer l’entreprise : l’utiliser comme une force pour le bien.
Le processus de certification nous a pris deux ans en tout, car nous n’étions pas vraiment sûrs que cela en vaille la peine étant donné le temps et les ressources qu’il faut y consacrer pour son obtention. Du coup, la première année nous nous en sommes inspirés pour améliorer notre entreprise et pour notre propre « rapport sur la durabilité ». Il y a plus de 200 questions auxquelles vous devez répondre en tant qu’entreprise, puis un processus d’authentification au cours duquel vous devez envoyer des documents justificatifs. Dans le cadre de ce processus, nous avons également modifié les statuts de notre entreprise. Le but était d’inclure la notion de durabilité et de nous engager à avoir un impact positif sur la planète, plutôt que de simplement créer de la valeur pour les actionnaires comme le font la plupart des entreprises.
Les entreprises “B corp” sont très rares dans le café de spécialité. Avez-vous des échanges avec les autres B Corps dans le café de spécialité ? Y a-t-il des synergies entre les membres ?
Oui, deux de nos partenaires à l’origine sont en fait aussi des membres du « B Corp » : Daterra au Brésil, qui est l’une de nos relations les plus anciennes et Caravela en Colombie ont été B Corp depuis des années. Ce sont deux entreprises très inspirantes.
Votre équipe est composée de 14 différentes nationalités. Est-ce un choix d’être si multiculturel ? Comment vous assurez-vous que tout le monde transpire la même culture d’entreprise malgré les différences ?
Nous avons une grande partie de candidats hautement qualifiés venant d’autres pays et nous aimons la façon dont chacun apporte quelque chose de différent sur la table. C’est pourquoi nous nous sommes retrouvés avec une telle multitude de nationalités différentes. Etant donné que tout le monde est animé par les mêmes valeurs et par une compréhension de notre mission, cela fonctionne vraiment bien.
Nous voyons que vous investissez beaucoup aussi bien pour le bien-être de vos salariés (formations récurrentes, adhésion à un syndicat,…) que pour les agriculteurs et la planète (nous aborderons ces sujets plus en détail dans le suite de l’interview). En tant que manager, que pensez-vous du retour sur investissement d’être une entreprise sociale ?
Nous (les trois fondateurs de la société) avons tous commencé notre carrière dans le café en tant que baristas. Lorsque vous avez été sur le terrain, à préparer des boissons pour les clients, vous savez à la fois la valeur du travail, son importance, mais aussi combien il peut être stimulant et amusant. Je pense de ce fait que vous êtes plus motivés pour créer un lieu de travail qui soit le meilleur possible pour vos baristas. Si vous considérez le personnel (et surtout les baristas) comme le bas de la hiérarchie et comme quelqu’un de remplaçable, vous passez à côté de votre plus grand atout dans votre relation avec vos clients. Malheureusement, je pense que c’est ce qui se passe dans beaucoup d’entreprises. Nous essayons plutôt de réinvestir dans nos employés et de créer de nouveaux défis et de nouvelles opportunités de croissance. Aussi, nous le faisons parce que nous savons par nous-mêmes combien le café peut être intéressant et amusant en tant que carrière pour de nombreuses années.
Coffee collective et son engagement envers la transparence
Ce qui saute aux yeux quand on découvre Coffee Collective pour la première fois c’est l’engagement très clair envers la transparence. Vous avez signé « the pledge » avec beaucoup d’autres torréfacteurs de référence dans le monde. Votre cofondateur Peter était d’ailleurs l’un des acteurs clés de sa création. Quelle est la source de cet engagement ?
C’est vraiment en lien avec le passé de Peter et aussi quelque chose de très cher à nos cœurs. Nous pensons que le café peut être un moyen de créer plus de valeur dans certaines des régions les plus pauvres du monde. Peter a une formation en développement et a rédigé sa thèse de master au Nicaragua dans une région productrice de café. Tout cela a définitivement fourni un cadre qui définit notre approche sur la façon dont nous voulons faire des affaires.
Quelles ont été les difficultés d’être transparent ? Comment les avez-vous surmontés ?
Au début, certaines exploitations agricoles étaient réticentes à ce que nous partagions les prix, ce que nous respections bien sûr. Mais au bout d’un certain temps, elles ont accepté, en s’accordant sur le fait d’y inclure le nombre d’années de collaboration. Pour eux, le prix élevé était une chose, mais il était tout aussi important que nous coopérions depuis de nombreuses années.
Je peux imaginer beaucoup de torréfacteurs ont des craintes sur le fait d’être transparent et se demandent à quoi cela sert vraiment. Quel est votre message pour vos confrères sur le sujet de la transparence ?
Si vous avez peur de montrer vos chiffres, c’est parce que vous savez au fond de vous que vous ne payez pas assez pour le café vert.
Regardez bien dans le miroir et demandez-vous : pourquoi ? Il faut bien commencer quelque part et il est trop facile de dire que les clients ne sont pas prêts à payer ou que les concurrents sont moins chers. Cette logique est une course à la médiocrité. Nous devons agir et corriger cette habitude défaillante. C’est bien mieux de commencer à être transparent et à s’ouvrir à l’amélioration, plutôt que de se cacher. Vous gagnerez la confiance de vos clients et de vos fournisseurs. Alors, faites-le !
Sur votre site web, vous avez écrit des articles intitulés « Une série sur le paradoxe du café » dans lesquels vous expliquez plus en détail les avantages du commerce direct, de la transparence, du versement de primes, etc. Dans l’article « bonus de qualité« , il est écrit qu’il est important « de soutenir la transparence dans le secteur, afin que nous puissions tous continuer à déguster un bon café dans les années à venir ». Pouvez-vous nous expliquer le lien entre la transparence et le bon café ?
L’idée générale (que les économistes ont soutenue) est que plus de transparence entraîne une hausse des prix. Des prix plus élevés sont absolument essentiels si nous voulons que les agriculteurs continuent à produire du bon café. À l’heure actuelle, beaucoup d’excellents agriculteurs travaillent en dessous de leurs coûts de production ! Ce n’est pas durable surtout en face des différents éléments comme : le réchauffement climatique, la rouille orangée des feuilles de café (NDLR : maladie dévastatrice présente dans toutes les régions productrices), les autres maladies et les possibilités donnés aux fermiers de vendre leurs terres agricoles pour le développement urbain. Nous devons nous assurer que les agriculteurs sont incités à maintenir leur production. Si nous voulons aussi qu’ils améliorent leur produit et qu’ils nous proposent de nouvelles expériences passionnantes en matière de café, nous devrons payer beaucoup plus cher que nous ne le faisons tous aujourd’hui.
Avec la transparence, avez-vous déjà des consommateurs qui ont été un peu « négativement surpris » lorsqu’ils comparent le prix payé aux agriculteurs au prix qu’ils paient pour leurs sacs de café torréfié ? Comment leur expliquer la différence pour les rassurer ?
Très peu de clients ont réellement cette réaction que nous craignions d’ailleurs d’avoir au début. C’est probablement parce qu’ils sont plus intelligents que ce que nous leur reconnaissons souvent. Les consommateurs comprennent qu’il y a un long chemin à parcourir entre la ferme de café (ou même FOB : à partir du port d’exportation) et le moment où le café se trouve sur les étagères. Ils comprennent qu’il faut tenir compte du transport, de l’assurance, de l’entreposage, de la perte de poids en torréfaction, des coûts de torréfaction, de l’emballage, des salaires, du loyer et du bénéfice. Ainsi, plutôt que d’être une « mauvaise surprise », nous avons constaté une augmentation de la confiance car nous sommes prêts à partager ces chiffres.
Coffee collective et le prix payé aux agriculteurs
Comment choisissez-vous les fermiers avec qui vous travaillez ? Quelles sont vos critères ?
Le goût et l’arôme sont bien sûr le point de départ de tout. Le café doit être sans défaut en bouche, sucré et obtenir un bon score sur tous les critères. Dans notre « gamme », nous aimons aussi avoir des cafés qui couvrent une grande variété d’arômes. Nous aimons donc avoir des cafés avec des caractéristiques différentes plutôt que seulement des noms différents. Nous recherchons des cafés qui nous enthousiasment car si nous sommes enthousiastes, il est fort probable que nos clients le seront aussi.
Dans son livre « God in a cup », Michaele Weissmann explique comment, en 2008, des primes de qualité n’ont pas profité aux agriculteurs à cause de la corruption. Comme vous payez beaucoup plus que le prix de la bourse (bonus indiqué sur le paquet comme pour « Buena Vista » avec un bonus de 400%), comment vous assurez-vous que les agriculteurs obtiennent le prix et que l’argent ne va pas dans la poche de quelqu’un d’autre ?
Nous passons nous-mêmes des contrats avec les producteurs, nous leur rendons visite chaque année et nous obtenons les documents relatifs aux paiements. Cette question particulière est en fait l’une des raisons pour lesquelles nous avons commencé à travailler directement avec les producteurs. Au début, nous avions fait la malheureuse expérience d’une prime élevée pour un très bon café éthiopien provenant d’une coopérative appelée Hama mais lorsque nous sommes allés visiter la coopérative l’année suivante, la production était à l’arrêt par manque de moyens financiers. C’était frustrant de voir que le producteur d’un café fantastique ne pouvait pas maintenir son activité et cela montrait clairement que même le marché des spécialités ne fonctionnait pas correctement.
Aujourd’hui, la demande de café de spécialité est en hausse mais il reste un marché de niche. Produire un bon café signifie généralement pour les agriculteurs des coûts plus élevés, des risques plus importants et de faibles rendements. Comment pouvez-vous encourager les agriculteurs à passer du café conventionnel au café de spécialité ?
Je ne suis pas sûr qu’il soit toujours judicieux d’encourager un agriculteur à produire du café de spécialité. Pour certains, il serait peut-être plus judicieux, d’un point de vue financier, de se contenter d’augmenter le rendement de la production et de réduire les coûts dans le but d’avoir un business rentable. La logique c’est que meilleure est la qualité et plus le prix sera élevé. Les producteurs avec lesquels nous travaillons voient cela comme un moyen de se développer. Toutefois, tout cela dépend de la facilité ou non pour des producteurs d’accéder aux marchés ou aux torréfacteurs qui sont prêts à payer plus cher pour une meilleure qualité.
Avez-vous un exemple concret et inspirant à nous partager sur les améliorations de la qualité de vie que vous avez observées au fil des ans avec les agriculteurs avec lesquels vous travaillez ?
C’est fantastique de voir l’évolution de pays comme le Kenya et la Colombie au fil des ans. Nous avons des exemples à Finca Vista Hermosa ou Daterra au Brésil. Ce sont souvent les petites choses comme les nouveaux réservoirs d’eau potable, l’amélioration des routes ou les maisons qui ont meilleure allure qui ressortent. En outre, une histoire qui nous reste en mémoire est lorsque nous avons invité l’année dernière Jaime Casallas Jr. de Huila (Colombie) à nous rendre visite et passer dans nos magasins. En Colombie, l’économie est en général en pleine croissance. Par contre, il est difficile d’être un producteur de café car ils sont généralement mal payés donc les jeunes générations se détournent de cette voie. Jaime Casallas jr. nous a expliqué, à nous et à nos clients lors d’une présentation qu’il a faite ici, comment il a choisi de rester dans le café. La raison tient au fait que son père avait commencé à travailler avec nous il y a 7 ans et qu’il voit désormais un avenir dans le café pour y faire sa carrière.
Coffee Collective et le commerce direct communément appelé « direct trade »
Vous faites depuis de nombreuses années du « commerce direct ». De nombreuses définitions existent et certaines sont faussées car le fait d’aller à l’origine ne signifie pas que vous évitez de recourir à de nombreux intermédiaires. Pouvez-vous nous comment cela se passe pour vous ?
Ces derniers temps, nous nous sommes un peu éloignés de l’expression « commerce direct » après nous être battus pendant des années pour une norme commune. Beaucoup trop d’entreprises ont exploité ce terme, le rendant finalement insignifiant. Au lieu de cela, nous nous concentrons sur ce que nous faisons : construire de véritables relations directes qui durent des années et apportent une valeur ajoutée à toutes les parties.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qu’est un voyage typique en tant que commerce direct ? Vous rencontrez évidemment le fermier et vous gouttez le café mais lorsque vous vous rendez sur place, quelles sont vos relations avec l’agriculteur ? Lui donnez-vous des conseils par exemple ?
Nous rendons visite à chaque producteur au moins une fois par an et la plupart d’entre eux sont déjà venus nous rendre visite à Copenhague. Il est très utile de les rencontrer personnellement. Nous adoptons une approche prudente pour donner des conseils en matière d’agriculture, car ce sont les agriculteurs qui sont les experts dans ce domaine. Pas nous. La culture du café est un travail à plein temps, tout au long de l’année, et nous ne nous faisons pas d’illusions en pensant que nous en savons plus que les agriculteurs. Cependant, nous avons la chance de rencontrer de nombreux agriculteurs dans le monde entier et d’avoir parfois accès à davantage d’informations, que nous pouvons ensuite partager. Mais notre rôle principal est d’apprendre des agriculteurs et ensuite de partager ce que nous apprenons avec les consommateurs, en les sensibilisant au travail qui se cache derrière leur tasse de café.
Coffee collective et son engagement envers l’environnement
Dans votre rapport de durabilité 2020, vous avez fixé un objectif optimiste de neutralité carbone pour 2022. Vous avez créé un « green group » (NDLR : groupe de salarié réfléchissant aux futures actions en développement durable) au sein de Collective Coffee. Savez-vous déjà comment vous allez atteindre cet objectif ?
Le « green group » a fait des recherches et a proposé différents scénarios et possibilités. Nous avons maintenant une bonne idée des possibilités à envisager, mais nous n’avons pas encore pris de décision finale. Dans tous les cas, il s’agira de réduire notre empreinte tout en investissant dans le captage du CO2 d’une manière ou d’une autre.
L’énergie qui alimente vos cafés provient de l’éolien. Dans votre rapport de transparence, vous analysez et suivez la consommation d’eau et d’électricité. Quels sont les exemples que vous avez pris pour réduire votre consommation d’énergie ?
Installer des lumières LED, des machines à économie d’énergie mais c’est un domaine où nous pouvons encore améliorer.
Disons que je suis un consommateur qui veut acheter plus de café éthique mais que je suis perdu devant les différents torréfacteurs. Selon vous, quelles sont les questions cruciales que l’on pourrait poser à un torréfacteur afin de juger si son café est durable ?
Un moyen relativement facile de trouver des entreprises qui travaillent honnêtement sur le développement durable serait de rechercher des torréfacteurs ayant signé « The Pledge » ou d’éventuelles entreprises certifiées « B Corp ». Aucune n’est durable à 100 % mais le véritable indicateur est l’effort que toute l’organisation y met.
Vous pouvez également demander « quel a été le prix payé au producteur pour ce café ? ». L’exactitude de la réponse que vous obtiendrez en dira long sur le sérieux de ces entreprises. Si l’on vous dit quelque chose de général sur la qualité de leurs principes d’approvisionnement et rien sur le café en particulier, vous pouvez être sûr qu’ils s’approvisionnent comme la plupart des entreprises de café dans le monde.
Coffee collective et son future
Dans le futur du Coffee Collective, voulez-vous rester au Danemark ou ouvrir des cafés à l’étranger ? Si c’est le cas, quels seraient vos principaux choix ?
Pour l’instant, nous nous concentrons sur le Danemark car nous avons le sentiment d’être à la maison. Nous ne pouvons pas exclure qu’un jour nous nous ouvrions à l’étranger, mais nous n’avons rien en vue 😊
Pour finir, j’aime bien poser la question sur les rêves. Quel est votre plus grand rêve concernant l’avenir des cafés de spécialité ?
Que les caféiculteurs du monde entier gagnent un bon salaire qui leur permet de mener une bonne vie, et que les producteurs de spécialités soient reconnus et récompensés pour leur travail au même titre qu’un viticulteur français.
Un grand merci à Klaus pour ces précieux partages.
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