Parmi les disciplines des Championnats du Monde de café, le Coffee in Good Spirits tient une place à part. L’alliance d’un alcool et de café est une équation qui, pour être résolue, demande de nombreuses connaissances, un vrai savoir-faire et surtout une résistance au stress pour réussir au mieux les trois épreuves. Qui de mieux que Hakim Ben Hammouda, champion de France 2019 du Coffee in Good Spirits, pour tout nous expliquer du « coktail café » ?
J’ai rencontré Hakim dans le « labo », une annexe des boutiques Terres de Café fermée au public, où s’entraîne les champions maisons. Entre matériel de barman, de barista, paquets de café et alignements d’alcools fins, découvrons ce vrai passionné.
Bonjour Hakim ! Peux-tu nous présenter ton parcours ?
Je viens d’une formation initiale en commerce, à Marseille, mais j’ai toujours voulu travailler dans la restauration et être barman. J’ai donc fait toute la chaîne, de commis de bar à chef barman. On m’a ensuite conseillé de faire une formation barista, que j’ai effectuée chez BBS (non loin de Marseille)… Une vraie révélation ! Le formateur m’a fait gouter un « vrai » café, et j’ai eu un choc. Dès lors, tout en continuant à être barman, je suis monté fréquemment sur Paris pour faire des master classes, des cupping, visiter des coffee shops et des torréfacteurs. Ma passion pour le café grimpait petit à petit.
Après une expérience courte mais enrichissante chez le chef étoile Akrame Benallal, pour l’ouverture de son restaurant Shirvan, je pose mes valises chez Terres de Café. J’enchaîne donc les saisons d’hiver à Paris, et les saisons d’été à Marseille. Jusqu’en 2018 où je décide de me lancer à mon compte et de créer ma société d’évènementiel. J’assure désormais, en majorité sur Paris, des prestations de barista et barman pour des restaurateurs, des événements, des soirées,… et bien sûr pour Terres de Café.
Quelle est la situation du « cocktail café » en France ?
C’est très mal vu ! Dès que les gens entendent le mot « café », quel que soit l’alcool associé, ils n’en veulent pas. Quand on propose, par exemple, un « espresso Martini » (vodka, liqueur de café, espresso, sucre), on me répond « Je n’aime pas le café » ou « Je n’aime pas le martini ». À l’inverse, à Londres, on en commande même à midi !
Je pense qu’il faut montrer aux clients de nouvelles choses, faire goûter sans forcément dire que le cocktail contient du café, sinon il y a forcément un blocage. L’astuce, c’est « Goûtez, et on discutera après ».
Nous avons aussi le côté « préjugé ». Prenons l’Irish Coffee par exemple. Les clients veulent voir des étages bien marqués, beaucoup de chantilly,… Alors qu’un vrai Irish Coffee doit ressembler à une Guinness : sombre, presque noir, avec une fine mousse sur le dessus. Cela entraine un choc de température, et il se passe des choses quand on goûte. Il n’est jamais question d’étages ! Même si ce cliché à la peau dur en France.
Et puis enfin, certaines réactions incompréhensibles. « Ah non, je ne veux pas de café dans mon cocktail, sinon je ne vais pas dormir ». Et l’alcool alors !
Quel sont les villes référentes dans le domaine du cocktail ?
Londres, New York… et même Paris qui gagne des galons progressivement. On a quelques adresses parisiennes référencées dans les grands guides. Mais trop peu utilisent encore le café dans leurs créations ! Certains font infuser du café dans un alcool, mais utiliser un espresso ou un café filtre… c’est encore compliqué !
Pourquoi avoir décidé de te lancer dans la compétition ?
C’était un petit challenge. Je me suis dit qu’il était temps de me lancer, après avoir suivi plusieurs éditions. La première fois que j’ai participé, en 2018 (Marseille), la pression d’avoir un public m’a fait trembler. J’avais une double pression car la compétition se déroulait dans ma ville !
Te parler, ou parler avec un client, c’est facile. Mais avoir plein de gens qui te regardent, c’est différent ! J’ai terminé 4ème en 2018, mais ça a été un très bon entraînement et ça m’a poussé a retenter ma chance en 2019, ou j’ai bien mieux géré la pression et ai remporté le titre.
Comment se passent les épreuves du Coffee in Good Spirits ?
Il y a trois étapes (deux en demi-finale et une en finale) :
Le Spirit Bar. L’alcool est imposé et est tiré au sort juste avant l’épreuve parmi une sélection que l’on connait entre 1 et 3 semaines avant le championnat. Il faut préparer deux cocktails identiques (chauds ou froids) avec du café filtre. Il y a 5 minutes de préparation et 6 minutes de présentation. Ces 5 minutes de préparation passent très vite car il faut penser à sa boisson tout en préparant le discours qui va suivre. Il faut préparer au mieux cet épreuve et adapter sa base en fonction de l’alcool sélectionné.
Pour la deuxième épreuve, on parle devant un public, deux juges sensoriels (qui goutent le cocktail), un juge principal et un juge technique. Je prépare deux boissons chaudes et deux boissons froides avec un alcool sponsor obligatoire (que l’on connaît avant) et je suis obligé d’utiliser au moins une fois un espresso. Cette fois-ci, j’ai 10 minutes de préparation et 10 minutes de présentation.
Pour la finale (à laquelle accèdent les 6 premiers des deux épreuves précédentes), il faut préparer deux Irish Coffees et deux boissons signatures (chaud ou froid). On a la liberté d’utiliser la méthode d’extraction de notre choix.
Ces fameux Irish Coffees de la finale doivent être difficiles à départager ?
Ce qui va faire la différence, c’est l’équilibre en le sucre, le whisky et le café. Il faut sentir le café dans la boisson, car si le café est trop « léger », ce n’est pas intéressant. La texture de la mousse est également importante : bien blanche, sans bulles, ne doit pas se mélanger. En fait, c’est un ensemble. Tout le descripteur aromatique que tu promets doit se retrouver dans la boisson.
Quel café est utilisé ?
On apporte notre propre café. Aux Championnats de France, j’ai utilisé le Yirgacheffe d’Éthiopie. Pour le reste, le Himalaya Bourbon Rouge du Salvador.
Au-delà du défi technique, il faut raconter une histoire pendant la prestation. Comment abordes-tu cet aspect ?
Pour ma part, j’aime centrer ma présentation autour du produit phare : le café. J’aime raconte ce qui fait le lien spécifique entre ton café, et ta boisson (froide ou chaude). Parler seulement des données techniques du café (altitude, ferme,…) n’est pas suffisant ; il faut également se pencher sur le choix spécifique de ce café pour donner le cocktail que tu souhaites. Le tout en faisant rentrer les juges dans ton « bar fictif » et les amener dans ton histoire. Il faut une sacrée imagination, c’est sûr !
Tu as le droit aux ingrédients que tu souhaites ?
Absolument tout ce que je souhaite, oui. Des fruits, des légumes, du thé,… Mais il faut faire attention avec les ingrédients pour que ta boisson ne perde pas en lisibilité. Il vaut mieux mettre moins d’ingrédients, mais les travailler davantage, afin que la préparation ne soit pas trop complexe. En plus, on a pas beaucoup de temps pendant notre prestation, il ne faut donc pas trop se compliquer la tâche.
Quels sont les critères des juges ?
Il y en a tellement… tu verrais le nombre de pages du règlement ! Les juges regardent absolument tout, que la boisson soit chaude ou froide : l’équilibre, la fluidité de la présentation, le style, la technique, la propreté, si on ressent bien le café et l’alcool sponsor,… Tout doit être cohérent. Mais il y a aussi tous les petits détails techniques : si on verse la bonne quantité de café, de préparation, d’alcool (qu’il n’y ait pas de restes dans les récipients), si le plan de travail est propre,…
Comment se passe ton entrainement pour les Championnats du Monde 2019 (Berlin) ?
Je connais les alcools sponsors depuis 2 semaines (au moment où nous faisons notre interview). Mais le plus dur, c’est l’organisation. On va à Berlin, il faut donc organiser tout le voyage : vais-je trouver les produits frais en Allemagne, que dois-je emporter,… il faut tout prévoir.
J’ai mon thème en tête, mes idées de recettes, et je dois donc faire tester aux gens. C’est à ce moment que tout se structure. Je pourrais très bien inventer des recettes des mois à l’avance, mais sans connaître les alcools sponsors, ça ne sert pas à grand chose. Certains alcools sont difficiles à trouver. J’ai eu de la chance d’en trouver (ou qu’on me fournisse) certains. C’est un vrai plus pour la préparation. Mais ne pas avoir tous les alcools est un handicap. J’ai donc un gros mois pour m’entraîner.
Hakim me montre un mur entier de post-its.
Tu vois ce mur ? Ce sont mes notes… Boissons froides, boissons chaudes, boisson signature,…
Oui ! J’ai du boulot !
Comment trouves-tu le niveau des Mondiaux ?
Extrêmement élevé ! Il y a un top 6 qui se démarque : Dan Fellows, le champion du monde actuel se représente, le grec Manos Mamakis, Agnieszka Rojewska,… Mais même si je connais moins les autres, il faut également s’en méfier. Tout va se jouer dans les détails. Le côté positif est d’avoir un niveau poussé vers le haut avec tous ces excellents compétiteurs !
Que vas-tu améliorer entre la France et les Mondiaux ?
Je me suis regardé une fois et me suis dit « Oula! Il faut que je change tout. ». Dans ma préparation, je vais également me faire filmer pour analyser ma prestation, voir ce que je dis, ce que je fais, et ce que je peux améliorer. Le principal est d’être davantage à l’aise. Si le jury sent que tu es stressé, ce n’est pas bon pour ta note. Une question que je dois sans cesse me poser est « Si j’étais dans un bar, ferais-je pareil ? ». En répondant à cette question, je peux guider ma préparation et donc, ma future prestation.
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Retrouvez également notre interview de David Ly, champion de France Latte Art 2019, qui accompagnera Hakim Ben Hammouda au Championnat du Monde à Berlin.