Il est de ces moments que nous attendons avec impatience. Ce fut le cas les jours qui ont précédé ma visite de Reneka, un des deux seuls fabriquants français de machine à espresso. Le contact remonte en fait au Paris Coffee Show, où la marque française tenait un des plus gros stands avec quelques-unes de ses machines. C’est à cette occasion que j’ai rencontré l’équipe, et parlé « café de spécialité » entre deux tasses bien calibrées.
« Nos portes sont ouvertes, nous accueillons avec plaisir nos partenaires et clients dans notre usine » m’a précisé Clément, responsable du marketing chez Reneka.
Direction Rosheim (à quelques encablures de Strasbourg) où l’entreprise centenaire est installée depuis près de 20 ans.
Un siècle d’histoire
Lorsqu’on pousse les portes du siège social (adossé à l’usine de production des machines) c’est d’abord un voyage dans le temps qui nous est offert. Car quelques années après sa création, Reneka s’est lancé dans la machine à espresso. Et le show-room situé à l’entrée des locaux en est un excellent rappel. Photos et archives d’époque nous ramène près d’un siècle en arrière, mais l’effet « waouh » vient lorsque je me retrouve devant ce mur-présentoir, où sont sagement aligné, sur plusieurs mètres de haut, les modèles historiques de la marque. Gamme « Européenne » des années 70, modèles qui ont marché (ou moins marché),… tout ce qui n’est plus vendu a le droit à son carré dédié. Comme pour ne pas oublier qu’il y a, derrière les machines que l’on trouve actuellement en activité, des dizaines d’employés qui se sont succédés pour faire perdurer l’esprit Reneka au fil des ans.
Le saut dans le temps est encore plus intéressant lorsque l’on voit l’évolution technologique des machines, dont Reneka est à la fois témoin et acteur. Il n’y a qu’à voir ces trois pièces de musée (donc une date de 1946 !) où les machines étaient accrochées à même le mur et proposaient déjà de servir à la tasse ou de remplir un pichet pour plusieurs personnes. Peu doivent être les personnes qui possèdent encore des modèles de l’époque !
A en voir le nombre de machines différentes produites, on penserait presque que Reneka est issue du monde du café. Et pourtant, l’entreprise Strasbourgeoise a commencé par fabriquer des couverts, du chromage (pour Bugatti, installé non loin de là) ou même… des machines à chauffer des saucisses ! Mais c’est bien l’espresso qui est devenu le coeur de métier de Reneka, et je vais vite m’en rendre compte.
Un marché de pointe
Avant de pousser la porte de l’usine, il y avait un passage obligatoire dans le section « 21 siècle » du show-room : les gammes de machines actuellement sur le marché. Si le stand du Paris Coffee Show était déjà conséquent, le show-room Reneka est lui hyper complet : Life, Viva, Family,… toutes les séries sont exposées et prêtes à être testées par les acheteurs (ou curieux, comme Café Mag !). Que ce soit sur la R80, un des fleurons de la marque, où sur la petite dernière Family Home, j’ai eu carte blanche pour faire couler un bon nombre de cafés (et boire la majorité de ce qui a coulé) et tester les technologies brevetées de Reneka.
Car oui, pour continuer à se positionner dans un marché concurrentiel, principalement occupé par les marques italiennes, Reneka peut s’appuyer sur deux atouts :
- Une construction Made in France. Je suis désormais très bien placé pour en témoigner, les machines sont en très grande partie issue de l’activité française. Si quelques pièces (sur les centaines que compte une machine) sont encore importées d’autres pays, une majorité viens de fournisseurs français. Et bien sûr, la conception, l’assemblage, les tests,… sont intégralement faits à Rosheim. J’aurai l’occasion de vous en reparler plus bas.
- Des brevets à la pelle. Barista Steam, Latte Art, Micro Sieve, Aroma Perfect,… les technologies sont pléthores (même sur les machines dites « entrée de gamme ») et destinées principalement à faciliter le travail du barista (notamment en période de rush) tout en améliorant nettement le résultat en tasse. Parmi ces avancées technologies, le Micro Sieve est probablement celle dont l’effet est le plus marquant. Un filtre normal est composé de 563 trous de 350 microns. Le filtre Micro Sieve est composé lui de… 15000 trous de 170 microns. Le résultat est un café en sortie de groupe (encore) plus homogène, une crema plus alléchante et surtout, un corps plus présent.
Impossible donc, une fois la show-room parcourue de fond en comble, de résister à l’envie d’aller voir qui fabrique ces machines.
L’atelier, la caverne d’Ali Baba
On y arrive. Effet de surprise ? De « première fois » ? L' »émotion » du coffee geek ?
Je ne sais pas comment définir les raisons de mon émerveillement un peu béa, mais l' »antre » de Reneka est impressionnante. Des milliers de références de pièces, du boulon à la carrosserie, du câble électrique aux boutons de façade, de la chaudière à la pompe,… Tout est minutieusement stocké, étiqueté, aligné sur des dizaines de racks. Et le paradoxe entre ces montagnes de pièces et d’outils et le calme relatif qui règne dans l’entrepôt est saisissant. Car Reneka, j’oubliais presque de le dire, emploie autour de 25 personnes, donc une quinzaine (pas nécessairement en même temps) ont les mains dans les machines toute la journée.
C’est donc dans une ambiance très familiale, mais appliquée, que j’ai rencontré différents corps de métier.
Le pré-assemblage
C’est ici que les petites pièces se joignent pour faire des éléments bien précis de la machine. Un mitigeur, par exemple, est constitué à la base d’une dizaine de pièces individuelles. L’écran de façade, lui, de minuscules vis et écrous assemblés à la main. En somme, en transforme l’infiniment petit en éléments plus concrets, qui passent eux-mêmes dans des casiers dédiés, toujours soigneusement numérotés et enregistrés informatiquement dans les stocks. Comme tout nouvel arrivant chez Reneka, j’ai eu le droit à une mini-formation sous la gouverne de Cinderella, opératrice de production. J’ai pu, en quelques coups de tournevis, de pointes de colle et les deux yeux rivés sur les mains de ma professeure d’un jour, fabriquer deux mitigeurs (pour deux modèles différents), un panneau de boutons de contrôle et même l’écran ornant la façade de la gamme Life.
« C’est un travail minutieux. Je suis en début de chaîne, donc chaque petit défaut que je laisse passer peut avoir des répercussions sur la suite de cette chaîne, ralentir le travail de mes collègues de l’assemblage et du contrôle qualité, et potentiellement perturber les délais de production d’une machine » m’explique Cinderella, non sans une pointe de rigueur, « Mais de toutes les manières, je ne laisse rien passer ! ».
L’assemblage
Suite logique du pré-assemblage, l’assemblage concerne les plus grosses pièces (comme la chaudière ou la pompe). C’est le travail de Cinderella qui va permettre à Hubert, également opérateur de production, de composer les éléments moteurs des machines à espresso Reneka. A la vue des chariots mobiles, des bacs, des boîtes et des outils, il m’est presque difficile d’imaginer comment toute la succession d’étapes (parfois très complexes) se fait d’une manière si naturelle. Il règne en fait une ambiance de « bazar contrôlé », comme le serait un garage ou l’atelier d’un peintre. C’est ce qui fait, à mon sens, un des charmes de Reneka : il n’y a pas une seule machine en vue, juste une poignée de femmes et d’hommes qui peuvent produire jusqu’à 15 machines par jour.
Hubert de me préciser : « On a pas réellement de décompte de pièces assemblées par jour. Certaines prendront 10 secondes à faire, d’autres plusieurs dizaines de minutes. Tout dépend des stocks dont nous avons besoins pour la suite de la chaîne. On essaie d’anticiper. ».
Le châssis
Une fois que les innombrables pièces internes sont prêtes, il est grand temps de commencer le montage. L’œil rivé sur le tableau de commandes (auquel est évidemment lié le rythme de production) les opérateurs partent du squelette de la machine (sorte de carcasse métallique dans son plus simple appareil) et viennent y assembler les éléments adéquats pour chaque modèle de machine. Autant dire que la gestion des stocks est primordiale. Une pièce non préparée en amont, et donc non présente en stock, sera autant de retard sur le montage général de la machine. C’est aussi un des enjeux du « tout à la main » : jongler entre le flux tendu et le stockage préventif selon le taux d’utilisation des pièces. On y assemble donc les grosses pièces (chaudière, pompe,…), les plus petites pièces (boutons, panneau, mitigeurs,…), la tuyauterie et les câblages électriques. Après cette phase, la machine est techniquement prête à être testée.
La zone de contrôle
A ce stade, la machine est donc montée. Mais avant d’y apposer les panneaux (l’habillage), elle doit passer par une batterie de tests tous plus précis les uns que les autres : température (beaucoup de machine gèrent la température mécaniquement, par pressostat), pression, vapeur, débit,… Rien n’est évidemment laissé au hasard, car ce test est l’ultime étape avant l’expédition au client. Halil, responsable de production, de m’expliquer : « Ici, on configure les machines selon les demandes des clients, qui peuvent nous envoyer des informations précises en amont. Certains clients ont par exemple des besoins spécifiques, notamment au niveau électrique. A priori, toutes les demandes sont réalisables, seul le délai s’allonge. On a même une demande de 4 groupes ! ».
Assez souvent les tests s’avèrent concluants. Mais parfois, une pièce peut être défectueuse, et la machine doit alors être démontée (en partie ou totalement) pour changer la pièce adéquate. Un temps de perdu, mais évidemment nécessaire pour la qualité finale de la machine.
L’emballage et le stockage
Après sa production, la machine est prête à être emballée. Et là encore, tout se passe dans l’atelier. Une zone est dédiée aux protections de transport, fabriquées par une machine spéciale, et moulées selon le modèle concerné. Toutes ces protections sont par la suite stockées et utilisées au compte-goutte selon les commandes en partance. Une machine aide par ailleurs les opérateurs à emballer des machines parfois très lourdes (le plus petit modèle pèse 37 kilos) et à les mettre sur palette. Le résultat final a de quoi impressionner : de (très) gros cartons pouvant dépasser les 100 kilos !
Les machines sont stockées dans l’autre zone de l’entrepôt, et soigneusement étiquetées. Je commence à me rendre compte de la dimension internationale de Reneka : Mexique, Corée du Sud,… ce sont des dizaines de cartons qui attendent sagement les camions de livraison.
La boucle de production… est bouclée. Quelques jours auront suffi à assembler une multitude de petites pièces en une machine à espresso prête à servir, en France ou à l’autre bout du monde.
Le bureau d’études : la face immergée de l’iceberg.
Mais avant de penser à monter une machine à espresso, encore faut-il l’inventer, la dessiner, la penser,… Et c’est tout l’objet de la suite de ma visite, le bureau d’études. Reneka dispose de plusieurs ingénieurs qui ont deux rôles principaux : imaginer les machines de demain, et répondre à des besoins clients particuliers. Comment ce géant de la restauration rapide qui a demandé, pour l’une de ses adresses, une machine reprenant ses codes couleurs et son fameux logo. Ou comment ce client étranger a demandé une machine avec quatre groupes (imaginez donc… 8 cafés en même temps) !
Le processus est simple : le client fait sa commande spéciale et les ingénieurs étudient la faisabilité du projet. S’en suit alors une conception sur-mesure pour répondre aux défis techniques imposés. Comment faire rentrer une chaudière sufissament grosse ? Combien de pièces vont être impactées ? Quelles sont les nouvelles pièces spécifiques à commander aux fournisseurs ? Comment assurer un débit élctrique suffisant ? La livraison du produit final repose entièrement sur ces questions. Une erreur dans la conception du projet, et c’est toute la chaîne de production, voire l’engagement avec le client, qui capotera.
Mais je vous le disais, le défi pour les ingénieurs est également de produire de nouvelles machines et de renouveller le catalogue. C’est même indispensable pour rester la tête en dehors de l’eau dans un marché très concurentiel de la machine à espresso, qui ne laisse aucun répit aux retardataires. La course à la technologie et à l’innovation a déjà commencé depuis très longtemps et Reneka tente d’y répondre à l’aide de technologies inventées par le bureau d’étude, comme expliqué en début d’article. Et si le modèle le plus avancé de la marque à l’heure où j’écris ces ligne, le Reneka R80, est bourré de technologies (notamment un écran tactile pour gérer la courbe d’extraction de son espresso) et n’a rien à envier aux concurrents, le prochain modèle est lui déjà à l’étude.
Au final, chaque montage de chaque pièce sera documenté et envoyé à l’équipe de production qui mettra en pratique les plans inventés par le bureau d’études et donnera vie aux machines.
La vente et l’export
Forcément, sans commande, point de machine. Et c’est le rôle crucial du service commercial et du service export. A titre personnel, j’avais une vision assez « paradoxale » de la marque Reneka : une marque très ancienne, mais à la visibilité limitée, notamment sur Internet. Et donc naturellement, une question : mais comment fait Reneka pour remplir son carnet de commandes (comme en témoigne le stock de machines prêtes à l’envoi que je mentionnais plus haut) ? La réponse réside en fait dans un réseau de distributeurs finement répartis, et couvrant à peu près toutes les régions du monde. Que ce soit l’Europe, l’Asie, ou le continent Américain, Reneka est présent dans un large éventail de pays. Certains pays restent néanmoins encore difficilement pénétrables par la marque française, comme la Russie ou les Etats-Unis, qui imposent des normes difficiles à suivre, et distribuent des agréments d’import sous conditions (parfois drastiques).
Le système est très simple : le client se renseigne sur les machines, contacte éventuellement Reneka pour des informations précises, mais l’ensemble de la transaction passera via le distributeur local (pays ou région). C’est ce même distributeur qui assure l’import de la machine, sa livraison, son installation et sa maintenance. La boucle de production se ferme ici : une fois la commande signée, le nombre de machines, les spécificités techniques (parfois uniques), et les délais sont envoyés à l’atelier, et la mise en production commence. Simple non ?
Et maintenant ?
Si l’export à l’étranger marche très bien, Clément (mon hôte du jour) me confiait la volonté des français de s’approprier davantage le marché national : « On est une marque 100% française, on doit être leader en France avant de vouloir être leader à l’étranger ». C’est ce à quoi Diego Guerrero, le directeur général de Reneka, et ses collaborateurs vont s’employer dans les prochains mois et années. Evénementiel, communication digitale, gamme compacte (série Home), évolutions technologiques,… les leviers de développement sont variés et representent autant de défis pour Reneka, le petit poucet Alsacien devenu une référence sur le marché de l’espresso.
La visite continue sur le site officiel de Reneka.
Café Mag remercie particulièrement Clément, Halil, Hubert, Cinderella, Sophia et l’ensemble des employés de Reneka pour leur accueil et ces nombreux temps de partage.